Va ! Vole !

 
© Rohit Rattan 


Ne laisse pas entrer le vieux*
Il est bien trop tôt pour succomber 
Laisse-le tomber le gâteux, au mieux
Laisse-le au pieu et toi lève-toi, ma foi
Pendant que Sa Sérénissime Sénilité
Ronfle encore ses souvenirs passés 

Il n'a pas d'autres suggestions, l'amiral ?
Tu sais bien que le vétuste se fait la malle
Tape l'incruste sans être invité, l’arriéré
Ces temps derniers, à peine réveillé 
Jusque dans les doigts de pied, chié !
Tu as beau lui dire de libérer le plancher
Le gravat déverse dans ta nue propriété
Une tonne de petits maux agglutinés 
Dont tu n'arrives pas à te débarrasser

Faut dire que l'antiquité pèse son poids
D'émois, de contrariétés, purée de poix
Quand il a décidé de t'empoisonner
De s'emparer de ta santé en viager
Et tu sais bien que ça va pas s'améliorer
Avec le temps va, tout s'en va, fout le camp
Devient déliquescent, même tes os, tes dents
Bon Dieu, qui m'a programmé un tel gâchis
C'est ainsi que la vie se finit au paradis ?

Oui, il faudrait que nous soyons obligés 
Tu sais très bien que certains humains
Ne voudront jamais, sans y être contraints
Abandonner leur existence aux copains
Moi le premier, je serais là à vouloir gratter
Allez, encore un jour, un poème à griffonner 
Une dernière chanson, un dernier sourire
Dur de se dire que tout ça va se consumer
Petit à petit, nous, anéantis, cadavérés**

Du coup, on ignore ce qui nous pend au nez
On oublie d'y penser, on fait semblant ***
On se dit qu'on est jeune, qu'on a le temps
On fait comme si on voguait à perpétuité 
Et on procrastine sans vouloir se bouger
Tu rigoles, mon jeune camarade effronté
Tu te dis que tu as toute une vie d'éternité
Prends garde, combien d'amis volatilisés
Avant l'heure, au suprême de leur vitalité 

Foutre dieu ! Qu'est-ce que tu attends ?
Va, vole ! Laisse-toi porter par le vent
Libère ce qu'il reste en toi de bouillonnant 
Gonfle tes poumons, prends l'air du moment
Que diantre ! Offre-toi quelque onguent
Pour l'âme, pour le corps accessoirement
Ne fais pas le blasé, celui qui as tout vu
Celui que rien, plus rien ne peut transporter 
Cours dévisager les paysages, ces toiles à nu

Offertes, tu vas t'y trouver, démultiplié 
Défait de ta propre pesanteur, de l'asphyxie 
Gave-toi de ces nouveaux visages, vas-y !
Bois jusqu'à la dernière goutte, fais l'éponge
Ne sois pas sage, respire tous ces rires
Vois l'amour à jour partout, tout autour
Dévoile un peu tous ces yeux, vas-y plonge
Oui, c'est toi, qui voulais-tu, mon vieux ?
C'est toi, c'est toi que tu vois, t'as vu ?

Oui, je sais, c'est de la folie, de la magie
Maintenant que tu sais, tu peux y aller
Va donc voir là-bas un peu si tu y es
Après seulement tu pourras rentrer
Si tu veux, reposer ton corps défait 
L'esprit rassasié de toutes ces identités
Glanées au hasard des synchronicités
Toi, en réception de ces cadeaux octroyés
Avant que tu n'ailles t'oublier de l'autre côté 

* Clint Eastwood
** Alpha Blondy
** Elsa Triolet (1896-1970)

Jean-Luc Levesque

 
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https://www.jeanluclevesque.com/





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