Plutôt d'accord

© Jean-Manuel Duvivier

En règle générale 
Je suis plutôt d'accord
C'est affaire de tranquillité
Je ne conteste, ni ne proteste
Je m'accommode du décor
Et je néglige le reste
La plupart du temps, je comprends
Par bienveillance, par indulgence 
Toute cette peur accumulée
Torture des blessures passées
Qui pollue l'essentiel de nos sens
Miel de fiel inoculé à nos innocences

Compliqué de contester la gouvernance 
Des douleurs engrammées du passé 
Je m'en suis trimbalé des immondices 
Moi-même, une telle besace, jadis
Dont j'ai eu tant de peine à me délester
Saleté de caillasse dans ma godasse
Poisseux nuage agglutiné sur ma carcasse
Fière et suffisante, bravant les convenances
Guerroyant en batailles de quincaille 
Luisante dans son élément parmi la grisaille 
Torse bombé, tête dressée dans l'opacité 
Avec une folle intrépidité pour essentialité

Je me souviens de ces louches aveuglements
Cette volonté farouche de braver l'autorité
À m'enivrer d'une liberté sans lois
À ne pas m'abâtardir d'asservissement 
À n'être pas n'importe qui, n'importe quoi
Amour propre barbouillé d'un orgueil
Grassement sevré au lait de mon inculture
Il fallait bien que jeune ivresse se fracasse
Sur les idéaux béats de cette forfaiture
Dont l'histoire narrait pourtant l'impasse 
D'une psyché en proie aux boursouflures
D'un égo bouffi menant droit en calamité

Las, aveuglé par une vanité en trompe-l'œil
Mon impeccable cécité me conduisit au seuil
D'un labyrinthe où je me suis engouffré
Inconscient, pour des années d'obscurité
À croupir dans la nuit sombre de l'âme
Où une cynique folie s'amusa de mon drame
Elle m'accompagna en des contrées obscures
Culs-de-basse-fosse, vils lieux de perdition
Cloaques et autres oubliettes de l'humanité 
À observer traîner la misère parmi les murs
Magnifiques loupeurs, voyous et compagnie 
Ruminer les entraves de leur expiation

Je fis de même en observateur accompli
Jusqu'à ce que, le cœur asphyxié d'inertie 
Spectateur de malheur, rassasié de gueuserie
Je brûle les armoiries de mon impertinence 
Au feu ardent de ma soif de dissonance
Il fallait que j'abdique, dépose mon blason
Que je me défasse de ce mythe bidon
Du caïd engoncé dans son fétide thébaïde
À se la jouer solide, lui, le magnifique loser
Ranci au milieu de tout ce bastringue moisi
Les pieds dans la merde, droit comme un i
Avec rats et cafards pour illustre compagnie

Je devais accepter toutes ces années perdues
Abdiquer une fierté fanée, m'avouer vaincu
Terrassé, sans possibilité de m'échapper 
Ce que je fis en dépit d'un conflit intérieur 
Me plongeant au cœur d'un sombre dédale 
Où un vilain animal se réjouissait, triomphal
De m'imaginer captif en état fatal de dualité
Mais je m'étais déjà enfui, j'avais plongé
Dans l'infinité de mon vide intérieur
Et ce je découvris par-delà les apparences
Me transporta dans un lieu de splendeur !
Je m'étais évadé de moi-même, libéré 
De mon cachot, du gouffre de ma souffrance

Il n'y avait plus de barreaux, de temporalité
Plus de fortifications, d'ennemi à l'horizon 
Tout était devenu infinité, pure perfection 
Je m'étais étrangement extrait de la réalité 
J'étais partout et nulle part en même temps
Mon corps n'était plus qu'un instrument
D'absolue perception aux qualités décuplées
Mon identité s'était bizarrement effacée
J'étais au milieu d'une pièce de théâtre
Dont le metteur en scène réglait la lumière
Dans l'ombre de son impalpable présence
Et où les comédiens, en toute innocence

Jouaient leurs personnages, sans se douter
Un seul instant, sauf rares synchronicités 
De la farce absurde défilant sous leur nez
Comme aveuglés par trop d'animation 
Je n'avais plus de contraire à combattre
Plus besoin de carapace, de protection
Je percevais l'immanence en permanence
Présence irradiante habitant l'immensité 
J'ai compris alors que je m'étais éveillé
Que j'avais pénétré le domaine de l'Unité
J'étais rentré à la maison, immense demeure
Libéré de matérialité, d'horizontalité 

Il n'y avait plus d'intérieur, plus d'extérieur, 
Je m'étais extirpé de l'enfer, de la séparation
Débarrassé de toutes ces guerres de blasons
De ce quotidien plein de bruit et de fureur
Ces bagarres dérisoires pour avoir raison
Être le plus fort, putain, quitte à avoir tort
Pour contenter ce petit dictateur retors
Embastillé tout en haut de son mirador
À observer tourner le moulin de ses désirs
Inassouvis, jamais satisfait de son sort
S'exténuant vainement à chercher dehors
Un trésor qui le payerait de son martyr
 
Bref, c'est en acceptant le mors de mes fers
Le jour où, habillé d'un amour achevé 
M'effacant, me dépouillant totalement
De cet être abîmé au fond de sa tanière 
Qu'un ineffable joyau m'a été offert
Celui de voir par-delà la surface des choses
De me retrouver en absolue symbiose
Avec cette grâce qui habite l'instant présent
Habillé de légèreté et baigné de luminosité 
Libre ! Malgré la matière, malgré le corps
En totale connexion et en plein accord
J'étais accepté dans le royaume de l'Êtreté


Jean-Luc Levesque
 
 
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