Le flambeau

© Billelis on Behance


Tu as vu comme la mort se fait présence 
Comme elle frappe par intermittence
Comme elle anéantit en catimini
Sans mot dire, sans prévenir 
Les parents, les enfants, les amis
C'est la loi des séries : "Au suivant !"
Nous rappelle-t-elle en s'amusant
"Tu as vu comme je soustrais les vies
Tiens-toi prêt, mon bel ami, je t'attends
Tôt ou tard, tu iras rejoindre l'au-delà 
Tôt ou tard ! N'oublie pas que je reste là
Derrière toi, tapie dans la pénombre
Depuis toujours, fidèle comme ton ombre
Je passe bientôt ramasser les copies !"
Finit-elle, en macabre comédienne
Rejouant en boucle sa sombre parodie
Devant une foule en file indienne

À chaque envolée, la même mélancolie 
La même stupéfaction devant le vide laissé
Tu te souviens des moments passés
C'est un pan de ta vie qui s'évanouit
À chaque fois, par lambeaux, petit à petit
Te rappelant que c'est toi le prochain 
Sur la liste des invités, mon copain
Ces derniers temps, la furie s'enhardit 
"Au suivant, au suivant ! Par ici mon petit ! 
Toi-aussi, mon chéri, tu as vu ta maladie ?
Je te fais un cadeau, tu n'as pas assez gémi ?
C'est devenu un enfer ton affaire
Je t'offre la paix en guise de paradis
Suis moi, je te montre la porte de sortie
Plus de souffrance, plus de supplice
Derrière c'est la loterie, soit ton âme périt
Soit elle survit. Tu as lu la notice ? "

Au fur et à mesure que le temps passe
La mort se moque, elle joue l'effrontée 
La pétasse, par concomitances répétées 
Étonnantes coïncidences, synchronicités
Elle avale à la louche dans sa grande bouche
Nos proches tombant comme des mouches
L'échéance approche sans se hâter 
Crois-tu, car elle avance à pas mesurés
Tu sais bien, Tintin, que les dés sont pipés
Tu as beau te dépêcher de profiter
À grandes enjambées, de presser le pas
Tu ne fais que de te rapprocher
Un peu plus encore de ton trépas 
C'est mortel, tu voudrais arrêter le temps
Le claquemurer, le mettre au cachot
Alors, tu te réfugies dans l'instant
Tu essaies de capturer l’éternité

Mais il se faufile et il défile le salaud
Pendant que tu te retournes, innocent
Tout ça ! C'est dingue ce que ça passe
Tu te décarcasses pour mesurer la distance
Tous ces êtres aimés évanouis d'absence
Toi, tu es toujours là à porter le flambeau
C'est une sensation étrange que de demeurer
Alors que beaucoup des copains sont tombés
Tu voudrais vivre pour tous les absents
Mais tes rêves, eux-aussi sont chancelants
Ils se sont fracassés sur le mur de ta réalité
Tu vois guère plus loin que ta myopie 
Et tu grimaces face à la glace défraîchie
T'as pris un beau coup de râteau, mon poto
Tu as vu ta mine ? Ton corps se ratatine
Il perd toute son eau, ses os, il dégouline
Tu ne te reconnais même plus sur les photos

Tu as beau te débattre dans ce théâtre 
De marionnettes promises aux oubliettes
Il ne sert strictement à rien de te battre
Tu files à toute allure vers ton futur
Et te voilà empressé à considérer les miettes
De la fin irréversible de ton aventure 
Tu voudrais ralentir un peu le navire
Virer de bord, te hisser en haut de la mâture 
Pour mesurer jusqu'où s'étire ton avenir
Mais tu ne peux pas réduire la voilure
Et l'horizon ne fait que bramer l'hallali
De ton épopée parmi le tumulte de la vie
Il va bientôt te falloir abandonner le miracle
Quitter ce corps qui te sert de réceptacle
Cette image prêtée le temps d'un passage
Qui n'est pas toi, juste un visage, un mirage
Il y a longtemps que tu es déjà parti, mon ami

Tout là-haut, la tête au-dessus des nuages
Pour contempler l'ensemble de l'ouvrage 
Il y a tant de beauté sur cette terre
Tu ne vois guère que le prodige, le mystère
Caché au cœur du feu ardant de la lumière
Tu essaies de te détacher du bruit ambiant
De la confusion, des vains affolements
C'est un sacré parcours du combattant
Que l'incarnation, c'est violent d'être vivant
Alors, à l'automne de cette vie qui s'enfuit
Te voilà en quête de cette subtile harmonie
Qui va te conduire sagement à la conclusion 
Tu as fait le tour de toutes les questions
Tu n'as plus que l'amour comme passion
L'importance des hommes n'est qu'illusion
Ils ne savent pas ce qu'ils sont, font

Jean-Luc Levesque
 
 
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