Prisonnier
© Judith Clay |
On ne se libère pas de la matière
On l'épouse, on l'embrasse
On l'ingère, on la digère
On fait corps avec elle
On l'habite, on l'expérimente
On tâche de l'apprivoiser
De s'y frayer un chemin
On s'y révèle parfois
On s'y perd souvent
On y sommeille, on s'y réveille
On y apparaît un jour
Programmés d'amour
On y grandit, on y vieillit
Puis on s'en soustrait
On disparaît, c'est ainsi
On s'incarne jusqu'à la mort
C'est le sort du corps toujours
C'est la règle de la vie
La seule échappatoire...
La matière nous étreint depuis naissance
Et nous transporte jusqu'à conscience
En nous chantant tout le dérisoire
De notre magnifique insignifiance
On ne se libère pas de la matière
On tâche d'y faire équilibre
À la manière d'un artiste
Tel un trapéziste sur un fil
On tente d'en saisir le subtil
On essaie d'y faire merveille
Puis on la quitte subitement
Comme on ferme un livre
Pour un nouveau roman
Un nouveau grimoire, ivre d'histoires
Sera-ce une tragédie, une comédie ?
Une nouvelle vie éclot
Était-ce écrit ?
L'infini vient d'accueillir le miracle
Un point vibrant dans l'espace
Deux cellules viennent de se marier
Un être est créé
La matière comme réceptacle
L'éternité s'est prolongée
Serait-ce toi, le bienheureux né ?
Qui, sinon la conscience ?
Il n'est rien d'autre que la Présence
À l'origine de ce prodige de complexité
As-tu conscience de la Conscience
Je, tu le sais, n'a aucune équivalence
Sans début, ni confins, Je, tu imagines bien
Fera sa part du chemin vers ta liberte méritée
Ange récompensé, déchu de la gravité
Et du mouvement perpétuel de la lumière
Vers la matière, le long des filaments
Bref, tu sais, le dessein de l'Univers
Tu doutes ? Écoute le silence qui danse
La semence dense et pesante de l'immensité
Avant que le verbe ne déchira ta perfection
Comprends-tu ce choix du bonheur
Et l'acceptation de l'inévitable malheur :
Il ne s'agit que de vibrer d'émotions
La perfection, c'est long toute l'éternité !
On ne se libère pas de la matière
On ne s'affranchit pas de la lumière...
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