La chair
C'est de chair que nous sommes faits, ma chère
Issu de l'humus, de la poussière, nés de la terre
C'est d'hérédité dont nous avons hérités
Depuis les humeurs des premières amours
De nos aînés, oubliés dans la nuit des os
Des cheveux, des boues et des sangs séchés
Dis-moi, c'est bien d’idylle que tu es née
De semence, de liqueur, au cœur de l'humidité
De plaisir et de passion dans la volupté ?
C'est de lymphe dont nous sommes irrigués
Divine nymphe, de sécrétion et d'affection
De salive et de sueur, l'odeur de ta féminité
C'est notre corps nu qui nous sert d'enveloppe
La sève a transporté la lettre en toute facilité
Dans les méandres de notre nature animale
Au centre du chemin tracé par la fécondité :
Durant des siècles et des éons d'évolution
La vie a sculpté ce subtil sillon pour perdurer
C'est de synovie dont nous sommes vivifiés
Depuis la mer, première matrice nourricière
Jusqu'aux eaux primordiales amniotiques
Nous avons choisis de gagner notre mobilité
Car nous devions nous aimer, tendre complice
Céder aux injonctions de nos soifs tentatrices
À la fulgurance de nos attirances symbiotiques
Dans la sempiternelle ronde des désirs volages
Afin de parcourir les âges de la Voie Lactée
Parce qu'il n'est question que d'intention :
Nous serions donc acteurs de notre évolution
Et de conscience préexistante dans la matière :
La vide serait ainsi la matrice de l'Univers
Parce qu'il n'est question que de projection
La création vivrait son œuvre à travers nous
Répondant à nos songes de manière équanime
Nous serions donc son regard nourri de vie
Créature naïve, dupée par le charme du génie
Non, la chair n'est pas triste, chère âme amie
Le véhicule que nous nous sommes choisis
Est une perfection juste assez imparfaite
Pour nous permettre d'être perfectibles
Humains en métamorphose perpétuelle
Libres, "parmi l'écume inconnue et les cieux"*
Ivres de mirages et de temps suspendus
* "Brise Marine" Stéphane Mallarmé, 1898
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