Lieu commun
© Narcisse, Le Caravage, 1597-1599 |
S'il est un lieu commun à tous les humains
C'est bien d'être contaminé par cette maladie
Qui consiste à vouloir toujours être aimé
C'est une quête inassouvissable, une pure folie
Que de guetter sans cesse l'approbation
De l'autre, tous ces tics de séduction
Suis-je aimable, me reconnais-tu ?
Puis-je faire partie de ton groupe ?
Je te like, regarde comme je suis gentil
Cette dictature insensée de l'affectif :
Attendre sans cesse le consentement
L'adhésion dans l'acquiescement de l'autre
Et puis exactement tout son contraire
Exclure sous prétexte de différences
De classe, de genre, d'âge, d'apparence
Mais encore d'origine, de religion, de culture
Que sais-je encore l'insignifiance
Des dissemblances que l'on peut s'accorder
Pour se donner une raison d'exister
Il me vient parfois des idées délétères
À observer ainsi mes congénères
Je me voudrais tant aimant, complaisant
Habité d'une empathie sans discernement
Nimbé d'un amour inconditionnel
Mais il faut bien que je me fasse une raison
Elle est encore loin la voie de la rédemption
Tout ce chemin vers la commisération
Ce long processus d'acceptation de l'autre
Et de soi dans la non-séparation
Il serait tellement plus simple d'abdiquer
Plutot que d'espérer, comme tout un chacun
Que le monde tourne comme on le souhaite
Poser sa couronne et s'asseoir un instant
Pour goûter, le temps qui nous est donné
Le miracle insensé de l'incarnation
Marcher sur le doux sentier de la légèreté
Ce chemin de traverse, là, juste à côté
De la folle autoroute de l'individuation
Il y a possibilité de libération hors l'animal
Qui nous caractérise, il y a puits de révélation
Par-delà la matière et le diktat de l'instinct
Il s'agit de saisir à travers la dualité des choses
Cette efflorescence incroyable de l'énergie
Qui entraîne fatalement le désordre de la vie
Il s'agit de se situer dans cet état stationnaire
Le premier état de la création avant la division
De la perfection en polarités complémentaires
C'est la voie du milieu, cette sente de traverse
Que tous les sages empruntent depuis l'origine
En coupant le mental, en le mettant en veille
En connectant le vide qui emplit notre béance
Ce vide en soi qui est présence et non absence
Il ne s'agit que de se dissoudre, de s'évaporer
De ne pas laisser nous abuser par les sens
Cette Narcisse et son miroir de suffisance
Pour s'ouvrir grand les portes de la perception
Immense, les fenêtres de la contemplation
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