Rien
© Jean-Luc Levesque |
C'est une journée étrange que cette journée, tu voudrais bien faire quelque chose, mais tu n'y peux rien, tu restes là à attendre que rien ne se passe afin que rien ne vienne déranger l'inaction dans laquelle tu te loves jusqu'au menton, comme lorsque tu t'engonces dans un épais duvet moelleux par un temps de chien. Tu ne bouges pas, sinon les orteils en signe d'une satisfaction profonde. En réalité, c'est ton corps qui a pris le pouvoir et qui te dit merci de lui laisser les commandes. Il t'a posé, là, dans un fauteuil à l'ombre d'un parasol sous le gazouillis des hirondelles et tu as obéi à son initiative, comme ensorcelé par une prise de pouvoir si péremptoire. Tu ne t'es pas non plus, il faut bien l'avouer, beaucoup débattu.
Te voilà donc tranquillement installé à l'horizontale, en position de croisière, prêt à affronter le temps qui fait semblant de s'éterniser.
Tu voudrais profiter de l'instant pour le mettre à profit, tu balayes rapidement les sujets, commence à dresser la liste des occupations à venir, mais le claquement d'ailes d'un pigeon ramier qui prend son envol vient te rappeler, telle une bonne paire de gifles, à cette réalité qui te convie de ne rien faire. Ton attention est fixée ailleurs qu'en toi-même, c'est flagrant, tu ne t'intéresses pas. Il n'y a guère que la tiède caresse de l'air sur ta peau qui vient troubler l'attention que tu portes au souffle du vent dans les arbres. Le parasol gémit, tels les crissements caractéristiques des gréements d'un voilier, il n'en faut pas plus pour te catapulter sur l'océan en quête d'une totale liberté, ivre d'un nulle part où te situer. Un bourdon semble s'énerver après une fleur qui résiste à ses assauts, te voilà parmi les tulipes et les pervenches à observer le manège magique de la nature.
Tu te t'ennuies pas, ne rien faire, c'est quand-même faire quelque chose, même si ce n'est pas grand-chose. Rien, ce n'est pas rien finalement. Ça permet de se reposer. De se poser comme on dit aujourd'hui.
C'est un corps bien plus grand que le tien qui te tient dans ses bras immenses, tu sais l'extrême sensibilité de l'équilibre dans lequel se produit le miracle de la vie. Quelques degrés seulement sur une échelle de plusieurs milliards et c'est avec la conscience aiguë de cette perfection si fragile que tu gouttes l'exquis parfum du lilas, tendre et délicat, qui vient frôler tes narines. La nature, voilà ton unique demeure, celle qui t'appelle à la moindre occasion et dans laquelle tu te réfugies. La nature, que tu rejoins pour fuir la folie avancée des hommes. La nature, cette luxuriance, cette incroyable présence en toi que rien, absolument rien ne peut détrôner sur l'échelle de tes appétitions.
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