Respiration

© Jean-Luc Levesque 
Sens-tu la terre qui respire ? Cette fraîcheur qui se pose doucement sur tes épaules ? Entends-tu les rouge-gorges chanter ? La pie qui jacasse ? Vois-tu les chats qui s'étirent ? Ce couple de tourterelles qui roucoulent dans le verger, ce jeune lapin de garenne qui bondit dans la prairie ? C'est bientôt l'heure du lâcher prise, une grande fête se prépare... Les canards profitent de l'heure tardive pour rejoindre la mare d'à côté, leur formation ne vole pas très haut dans le ciel, presque en rase-motte.

L'humidité enrobe subtilement l'air. Te voilà plongé dans un bain de fragrances, tes narines frémissent, tes poumons se gonflent, ton cerveau s'embrase cherchant à identifier tous les stimuli. Les animaux vont bientôt se laisser aller à leur folie, ils vont célébrer en apothéose le point ultime de la journée. 

Tous tes sens s'éveillent. Cependant, la nature t'invite à la solennité, elle te convie au calme et à l'écoute. C'est un moment spécial, à la fois banal et unique, un instant magique. Les roses s'illuminent écarlates, le ciel s'empourpre, le soleil vient juste de franchir l'horizon. Vénus apparaît comme toujours dans son sillage. Bientôt toutes les planètes vont suivre, ce sont toujours les premières à annoncer la nuit, avant l'apparition de Vega qui ouvre le bal des étoiles d'été. 

C'est l'heure ! Les chiens se mettent a courir en rond après un congénère imaginaire. Les chats se perdent en rouler-bouler. Les  animaux oublient soudainement leur rivalité, c'est l'heure d'aller se désaltérer sous le coucannement des bécasses. C'est la trêve, la pause bonheur, les merles habillent l'espace de leurs plus belles babilleries, se répondant à l'entour en un concert de cantabiles et trémolos mélodieux. L'obscurité s'installe petit à petit. Il y a de la magnificence dans cet entre-deux furtif, celle de la ronde silencieuse de la planète autour de l'astre majestueux.

Soudainement, les oiseaux se taisent, peut-être sont-ils en train de rejoindre leurs nids ? Un grillon commence à frotter ses élytres, il va égayer une bonne partie de la soirée de sa musique envoûtante. Un vrombissement accompagne son chant, c'est un cerf-volant qui passe lourdement en luttant contre l'attraction, il semble n'avoir rien pour voler, un corps massif, des pinces imposantes, pourtant c'est la solution que la nature lui a offerte pour rejoindre sa belle.

La lune se lève, croissante, chacun sait qu'elle est menteuse et qu'elle dit le contraire de ce qu'elle dessine dans le ciel. Quelques paons se mettent à criailler, ils annoncent le coassement amoureux des grenouilles qui va rythmer toute la nuit durant le spectacle étoilé. La rosée sent la terre, elle commence à rafraîchir l'atmosphère. Quelques éphémères, attirés par la lumière se grillent les ailes sur les lampadaires du village pendant que les chauve-souris passent en rase motte sans faire de bruit. Toute une vie s'éveille à l'entour. Les chevreuils quittent la lisière de la forêt pour s'aventurer dans les champs de blé. Lièvres, blaireaux, belettes quittent leur terrier. Les hiboux s'appellent au loin, les lapins se mettent à couiner, c'est l'heure du lever et du coucher, animaux diurnes et nocturnes se croisent. La nuit s'est installée subrepticement sous les glapissements d'un épervier. On distingue maintenant nettement la Voie Lactée et le spectacle magnifique du ciel illuminé. Des milliards d'années de voyage de la lumière contemple notre extrême fragilité. C'est l'heure d'aller se coucher, demain est une nouvelle aventure pleine de rebondissements, la soirée s'annonce harmonieuse en clôturant une première journée d'été radieuse. 

Jean-Luc Levesque
 
 
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